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Extraterritorialité du droit américain : une arme économique redoutable

Une statue représentant la justice, les yeux bandés, dorée, et tenant une balance et une épée dans les mains
© Canva

La vision extensive de l’extraterritorialité par la justice américaine a des conséquences lourdes. Au-delà des amendes versées par les entreprises concernées, les États-Unis accèdent à des données sensibles qui peuvent donner un avantage considérable aux entreprises américaines.

Aucune transaction commerciale ou financière réalisée dans le monde n’est complètement à l’abri de la compétence des autorités américaines. « Dans le droit pénal français, on pourrait parler d’une arme par destination », estime Nicolas Ravailhe, consultant et enseignant à l’École de guerre économique (EGE). Une arme par destination, c’est un outil dont la fonction première n’est pas de tuer ni de blesser mais qui est détourné à ces fins. Nicolas Ravailhe précise : « La plupart du temps, l’extraterritorialité du droit blesse, mais ne tue pas. C’est du racket. »

L’extraterritorialité est un principe largement admis dans le droit public. Il doit permettre de poursuivre un contrevenant même s’il franchit une frontière, avec la coopération de l’État partenaire, dans des affaires de blanchiment d’argent ou de corruption par exemple. Les États-Unis ont cependant une interprétation très extensive de cette pratique qui permet d’intervenir dès lors qu’une entreprise utilise des comptes bancaires en dollars, des services d’entreprises américaines, ou fait appel à des salariés originaires de ce pays.

Les amendes peuvent atteindre des montants dantesques. Les banques, qui utilisent des comptes de change dans toutes les monnaies, sont des proies faciles. La BNP Paribas, en 2014, ou la Société Générale, en 2018, ont dû payer respectivement 8 et 1,2 milliards d’euros d’amende, pour violations d’embargos dans plusieurs pays ostracisés par les États-Unis.

Les amendes ne sont pas les seules sentences infligées aux entreprises qui tombent dans les filets des autorités américaines. Dans le cadre d’affaires de corruption Alstom en 2014, ou Airbus en 2020, ont dû fournir certaines données stratégiques à la justice américaine. Certains craignent que ces données puissent finir entre les mains de concurrents américains.

Washington impose sa politique

Dans le cadre de l’extraterritorialité des sanctions internationales, Washington parvient à imposer des embargos à des entreprises issues de pays qui n’ont pas adopté la même politique. Le cas le plus significatif est l’Iran. « C’est un outil privilégié de concurrence déloyale, assure Michel Makinsky, spécialiste de ce pays et de ces questions. L’objectif est de chasser les Européens, et les Français en particulier, du marché. »

Celui qui a conseillé plusieurs entreprises qui ont longtemps été présentes en Iran observe que les sociétés américaines se tiennent à l’affût. Alors que Renault était contrainte de quitter le territoire, pour ne pas être victime d’amendes américaines, General Motors publiait des pages entières de publicité dans des journaux iraniens. Le jour où Washington lève ses sanctions, les professionnels américains bien informés pourraient avoir l’avantage sur leurs compétiteurs européens. Un atout commercial conséquent : « Le marché iranien est gigantesque, estime Michel Makinsky. C’est un pays de 80 millions d’habitants, qui sont jeunes et instruits. »

Impuissance européenne

Le député UDI Philippe Bonnecarrère, auteur d’un rapport d’information sur l’extraterritorialité des sanctions américaines publié en 2018, regrette que les ripostes françaises soient trop faibles. « Nous n’avons pas avancé d’un pouce depuis 20 ans. Et je considère qu’il n’y a aucune solution. » De son côté, Nicolas Ravailhe estime que les Européens auraient pu « riposter à armes égales », notamment au moment de la création du Parquet européen. « Nous aurions pu étendre sa compétence à ce sujet. Cela n’a pas été fait. » Pour de nombreux acteurs économiques, le risque d’amende est plus élevé que le chiffre d’affaires lié au marché américain. Ils ont peu d’intérêt à s’engager dans un tel bras de fer. Pourtant, il existe une loi française de 1968 dite « loi de blocage », ainsi qu’un règlement européen de 1996, qui visent à protéger les entreprises appelées à partager des données sensibles lors de procédures américaines. « Les entreprises demandent souvent à échapper à ce règlement pour se soumettre aux injonctions américaines », conclut Michel Makinsky.

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Mélanie Roosen & Géraldine Russell

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